Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 29/07/2020
Construire à partir de matériaux bio-sourcés ? « Une demande du maire, se souvient Corentin Desmichelle. C'était un projet important, un équipement à plus de trois millions d'euros pour une commune de 5 000 habitants. C'était aussi le point d'orgue de son dernier mandat », poursuit-il. Véritable couteau suisse, la construction abrite une école de danse, une école de musique, une médiathèque, une salle de spectacle, le tout distribué par un hall dont les généreuses dimensions en font un lieu d'exposition idéal. « Il s'agissait de créer une adresse en mesure de fédérer la population, mais aussi d'insuffler une dynamique à la commune », ajoute-t-il. Corentin Desmichelle avait eu vent du concours lors de réunions entre spécialistes de la construction biosourcée. Pour y répondre, il s'est associé à Jean-François Bridet (Scop d'architecture B-A-Bo) et, ensemble, ils ont abordé la question de manière simple : « Dès que l'on pense à la mise en œuvre de matériaux issus de la biomasse, le réflexe veut que l'on ne s'attache qu'aux façades. Proposer une toiture biosourcée était, selon nous, un enjeu de taille, d'autant plus pour un équipement public », explique l'architecte. Le défi était ainsi lancé.
Une réglementation enfin adaptée
À mesure des années, Corentin Desmichelle est devenu spécialiste de la construction bio-sourcée. En 2007, déjà, il avait fondé un chantier participatif avec des étudiants de l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles. « La transmission passe par l'acte manuel. Nous avons travaillé le bois, la paille et la terre, décrit l'architecte. L'ambition - alors même que cette thématique était encore balbutiante - était de réduire l'empreinte carbone, mais aussi de revoir le rapport d'une architecture à son territoire. Il n'existait, à cette époque, aucune réglementation. J'ai participé à la rédaction des Règles professionnelles de construction en paille , parues en 2012 aux éditions du Moniteur. Ce travail, encadré par le géographe Luc Floissac, de l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Toulouse, a permis d'accéder à la commande publique. » Jusqu'alors, l'absence de normes avait rendu impossible la mise en œuvre de la paille ailleurs que dans des projets privés.
Un dessin contraint
Il y a, d'un côté, le programme et les exigences de la Ville. Parmi elles, l'obligation de créer un bâtiment en rez-de-chaussée. De l'autre, les contraintes qu'induit la mise en œuvre de matériaux biosourcés. « Le bois est sans doute plus compliqué et laisse moins de liberté plastique que le métal ou le béton », concède Corentin Desmichelle. Idem pour la paille. « Nous devons adapter la structure au format des bottes, lui-même dicté par les botteleuses, ces machines qui densifient la paille et la ficellent. » L'enjeu est donc soumis à la connaissance parfaite des matériaux pour ne pas avoir à rajouter d'éléments structurels. L'ambition de l'Atelier Desmichelle est à l'économie de matière. Aussi, aux yeux de son fondateur, l'innovation passe par la réduction des matériaux : construire mieux mais avec moins de métal, moins de béton et même moins de bois. L'ensemble imaginé à Courtenay est donc volontairement sobre.
La tradition « recaractérisée »
Ceci étant posé, les matériaux biosourcés appellent souvent des techniques traditionnelles de mise en œuvre. « Elles sont "recaractérisées" par les chantiers d'aujourd'hui », prévient Corentin Desmichelle. La troisième édition des Règles professionnelles de construction en paille a été précieuse dans la création d'une toiture en paille couvrant la totalité du centre culturel de Courtenay. Pour autant, la tradition n'implique-t-elle pas le recours à des morphologies plus conventionnelles ? « Il y a bel et bien un retour aux formes archaïques », note l'architecte. Cependant, le toit plat de l'équipement relève d'un trait éminemment contemporain. « Nous préférons mettre l'argent dans des matériaux de qualité plus que dans une forme complexe. »
La bonne origine du biosourcé
Fondations et dalles sont en béton. La superstructure est, quant à elle, en bois. Pour alléger l'ensemble, des poteaux et des poutres - en nombre réduit - ont été consentis. Quelques éléments - pour éviter les ponts phoniques - sont également en parpaing. Le reste ? Des matériaux bio-sourcés. En façade, pour la partie basse, des éléments de douglas grisé, certains poncés, d'autres bruts de sillage. Et la grande salle de spectacle est habillée de tuiles de mélèze, choisies pour leur résistance. Les briques du patio proviennent d'une fabrique locale, la paille du Loiret. Et le bois ? Pour l'essentiel de France, mais aussi un peu d'Autriche… et du nord pour la structure. L'imprécision sonne comme l'aveu d'une situation qui n'est pas toujours entièrement favorable. Si des architectes engagés, à l'image de Corentin Desmichelle, semblent désormais prêts, le marché de la construction ne paraît pas encore complètement adapté. Les matériaux biosourcés ne feront sens, in fine, que s'ils participent aussi à une économie en circuit court.
► Article paru dans Ecologik 66 : l'avènement du bio- et géosourcé ?