L’artiste Edvard Munch (1863-1944) représentait sa ville natale hantée par des spectres, figures en noir, chapeaux rabattus sur des visages blêmes. Il faudra attendre près d’un siècle pour que l’austérité qui caractérisait l’ancienne Christiania change radicalement et qu’elle s’épanouisse enfin. Dans un pays où la conscience écologique héritée des anciens se confronte à la surconsommation et aux richesses du pays issues de l’exploitation pétrolière, Oslo combine la dynamique urbaine à la tranquillité de la campagne. Nichée au fond d’un fjord, elle est environnée d’un écrin de collines et de forêts propice aux promenades en soirée ou aux weekends sportifs, tant en été – course à pied, vélo –, qu’en hiver – ski de fond et alpin dans le Tryvann Vinterpark et ses quatorze pistes éclairées.
Avec ses 624 000 âmes (2012) – près d’un million si l’on compte son agglomération –, elle présente toutefois un certain mitage urbain que la municipalité a enfin décidé de contenir. D’autant que la Capitale estime à 200 000 habitants la population qu’elle doit accueillir d’ici 2030, soit 30 % de plus en seulement quinze ans. De fait, la réflexion portée par le Département du développement et stratégie urbaine envisage une planification à l’horizon 2050 de l’Oslo Metropolitan Area (OMA) : « C’est le plus important projet porté par la ville depuis ses origines, avec la finalisation de l’aménagement de son front maritime qui constituera à terme un axe culturel », explique Ellen de Vibe, sa directrice. Il faut dire qu’au tournant des années 2000, Oslo avait deux options : développer le port industriel ou reconquérir les berges pour s’ouvrir vers son fjord. Les accords passés avec les autorités portuaires, lesquelles ont su concentrer et reporter leurs installations de part et d’autre de ce front de mer, ont facilité cette seconde vision. En croisant les modèles de Paris Plage et de la Highline new yorkaise, Rodeo Arkitekter avec White Architects et Marius Grønning préparent ainsi des installations plus ou moins éphémères le long de la promenade, sur près de 9 kilomètres, englobant Bjørvika, Akerbrygge et Tjuvholmen.
Bjørvika : la métamorphose du front de mer
La première pierre de cet axe culturel est l’ouverture en 2008 de l’Opéra national (Operahuset), construit sur les docks des rives de Bjørvika par l’agence d’architecture Snøhetta. Cet iceberg recouvert de marbre de Carrare convie à une vaste promenade sur les pans obliques de sa toiture, débouchant sur une terrasse dominant les eaux du fjord. Montagne urbaine, ce théâtre lyrique enveloppe une salle prestigieuse en termes de confort et d’acoustique. Formant une rotule essentielle, qui plus est culturelle, à la charpente urbaine du quartier, plusieurs édifices emblématiques sont ainsi en train de s’agglomérer alentour. Sur une jetée voisine, après de multiples discussions et tergiversations, le musée Munch dessiné par l’architecte basque-espagnol Iñaki Herreros devrait enfin voir le jour. Lauréat du concours international, ce projet, qui figure une tour dont le sommet s’incline vers le large, doit accueillir la plus vaste collection des œuvres du célèbre artiste norvégien. Entre l’Opéra et la gare, la bibliothèque Deichman (Lund & Hagem + Atelier Oslo) ne l’a pas attendu pour sortir de terre et répond à la puissance de l’Opéra par des lignes aériennes, vastes plateaux ouverts creusés en leur centre par un patio couvert. En hauteur, le parc de sculptures Ekeberg offre un beau point de vue sur cette aire en pleine reconversion. Récemment rénové par l’investisseur immobilier Christian Ringnes, il accueille des œuvres d’artistes contemporains dont Dan Graham et Louise Bourgeois, ainsi que le Skyspace de James Turrell. Sans la création d’un tunnel routier sous la mer, qui a supprimé la voie rapide en passerelle qui coupait jusqu’il y a peu la Capitale de la côte sur ce tronçon, jamais la municipalité n’aurait pu aboutir à ces aménagements maritimes. Des promoteurs y assemblent aussi des résidences. En témoigne la presqu’île Sørenga où sont réalisés des blocs de logements de standing sur une règle du jeu matérielle commune aux architectes (à partir du module de la brique, de teinte brune, élément récurrent ici). Sur le continent, côtoyant la gare centrale (Sentralstasjon), le quartier d’affaires Barcode – Code barre – agrège en parallèle des barres chamarrées aux expressions plurielles. Côté mer, cet ensemble est bordé par l’avenue de la Reine Eufemia (Dronninga Landskap, paysagistes), mail arboré d’essences d’Asie orientale ou d’Amérique de l’ouest qui enserre le tracé du futur tramway.
La ville classique : la grille de Kvadraturen
À l’ouest de Bjørvika, Kvadraturen déploie son plan quadrillé et plusieurs bâtiments du XVIIe siècle bien conservés, dont l’ancien Hôtel de ville, modeste bâtisse. Après l’incendie de 1624 qui a détruit une partie de la cité, cette composition Renaissance voulue par le roi Christian IV prend appui sur les fortifications du château Akershus (1299) qui a protégé le port jusqu’en 1925, durant la domination danoise puis suédoise. Il abrite aujourd’hui le Musée de la Résistance pendant l’occupation ainsi que de celui de l’Histoire politique et militaire des vikings à nos jours, retraçant le devenir d’un peuple qui n’a trouvé son indépendance totale qu’en 1905. Sverre Fehn, architecte norvégien, a réinterprété les remparts dans la pièce d’exposition temporaire qu’il a adjointe au musée national d’architecture inscrit dans cette trame. Decumanus* de cette composition, la rue Rådhusgate qui traverse Kvadraturen de part en part et fait le lien avec le nouvel Hôtel de ville (Rådhuset), impressionnante masse minérale qui forme un repère avec ses deux tours. Ce vaste bâtiment, injustement surnommé geitost (fromage de chèvre), n’a jamais fait l’unanimité. Inauguré en 1950 pour commémorer le 900e anniversaire de la ville, son apparente symétrie est trompeuse. Pièce maîtresse d’une opération immobilière qui comprend commerces, bureaux et logements, il est savoureusement orné de figures mythologiques et sa belle minéralité brune est incrustée de bas-reliefs et de sculptures. À l’intérieur, recouvert de fresques allégoriques d’Henrik Sørensen et d’Alf Rolfsen (sur les thèmes Travail administration célébration et l’Occupation nazie de 1940 à 1945), son vaste hall est le lieu où est décerné chaque 10 décembre le prix Nobel de la paix. D’ailleurs, à deux pas, l’ancienne gare ferroviaire (1872) est devenue en 2005 le centre Alfred Nobel (Nobels Fredssenter) qui consacre des expositions à la défense de la paix dans le monde. Derrière lui, le nouveau musée National (Nasjonalgalleriet) va rassembler les collections éparses et concentrer tous les arts dans un vaste vaisseau minéral qui promet la même attractivité que l’Opéra, dès 2019.
D’AkerBrygge à Tjuvholmen : les chantiers navals devenus quartier arty
Face à l’Hôtel de ville, entre navettes et trois mâts, prenez le temps de déguster quelques crevettes et autres poissons frais auprès du viking qui arrime son bateau tous les matins. Là, l’embarcadère Aker Brygge est le point de départ des ferrys vers la péninsule Bygdøy, qui commémore le passé maritime de la Norvège (bateau 91 depuis le port face à l’Hôtel de ville), ainsi que les îles de l’Oslofjorden ; parmi elles Gressholmen et Rambergøya, à 15 minutes du centre, déploient des plages pour la baignade.
Le long du port, les anciens chantiers navals ont été réhabilités il y a peu en bureaux, résidences, galeries commerciales, restaurants et autres bars qui déroulent leurs terrasses et improvisent, l’été, des soirées dansantes. Cette promenade aboutit dans le quartier lacustre de Tjuvholmen. Là, le musée d’art contemporain Astrup Fearnley parachève la perspective. Son auteur, l’architecte Renzo Piano, a dessiné des coques en verre dont la courbure évoque les voiles de navires. Portées par une ossature en bois, elles abritent la collection privée de la fondation éponyme qui mêle des œuvres d’artistes internationaux tels que Andy Warhol, Jeff Koons ou encore Damien Hirst. En se scindant en plusieurs pièces, l’édifice cadre le paysage vers le fjord et fournit une plage et un parc de sculptures iconoclastes à l’extrémité de ce cap. Agglomérés autour de cette figure de proue occidentale de la ville, des immeubles de logements ont fleuri, les pieds dans l’eau. Des galeries complètent l’offre artistique, ainsi que des restaurants trendy, dont les plus récents sur le front ouest qui regarde Filipstad et ses friches navales en attente de reconversion. Outre un ascenseur panoramique tangent au Astrup Fearnley Museum, l’hôtel voisin, The Thief, affiche quatre étoiles et un bar sur son toit offrant un point de vue admirable sur la baie.
Oslo : cité-jardin
Enrubannée de forêts, Oslo convie la nature directement dans ses limites et est agrémentée d’un certain nombre de parcs. L’artère piétonne Karl Johansgate, œuvre de l’architecte de la couronne H.D.F. Linstow en 1826 et élargie trente ans plus tard pour (tenter de) rivaliser avec les Champs-Élysées, instaure une « Rambla » nordique. Partant de la gare, en amont, elle est bordée par la cathédrale (Oslo Domskirke) reconstruite par l’architecte français Alexis Châteauneuf en 1850 ; puis par le parlement de Norvège (Stortinget) et s’ouvre enfin en un jardin urbain, Spikersuppa, qui accueille le Théâtre national (1899), institution portant haut les noms de ses auteurs stars, Henrik Ibsen en tête, et produisant des spectacles en langue vernaculaire. En aval, elle débouche sur le Palais Royal (Kongeligge Slottet) au cœur de son jardin (Slottsparken).
Avec cette poche verte accessible au public, plusieurs parcs sont à disposition des habitants : Tøyenhagen, qui abrite l’actuel musée Munch ainsi que celui dédié à la géologie et la zoologie, Ekeberg à l’est, ou à l’ouest, Frognerpark, avec les sculptures de Gustav Vigeland (1869-1943) dont le fameux Garçon en colère. Dans ce dernier, le musée de la ville d’Oslo retrace l’histoire de la capitale fondée en 1050 par Harald Hardråde.
Sur les hauteurs, se détache la virgule blanche de la piste de saut d’Holmenkollen**, reconstruite en 2010 par l’architecte belge Julien de Smedt. C’est en quelque sorte la tour Eiffel osloïte, monument très fréquenté, puisqu’il accueille le plus vieux festival de ski du monde, rassemblant chaque année, en mars, des centaines de milliers de spectateurs. Après le 17 mai – qui célèbre la constitution de 1814 (après 400 ans sous domination danoise, puis suédoise jusqu’en 1905, lorsqu’elle obtient son indépendance totale) –, c’est la seconde fête nationale de Norvège.
Akerselva et Grünerløkka : les quartiers alternatifs
Mais la plus belle promenade se trouve sans doute le long de la rivière Akerselva. Celle-ci agrège, de part et d’autre d’un cours sinueux alternant eaux calmes et cascades, outre une piste pour piétons et cyclistes, de nombreux édifices reconvertis en habitations, locaux d’activités et autres bureaux. En amont, sur sa rive droite, au pied de petites chutes traversées par des passerelles, se trouvent désormais l’école d’art d’Oslo Khio (Kunsthøgskolen i Oslo) dans des entrepôts fraîchement transformés et des logements étudiants aménagés dans d’anciens silos. De l’autre côté, d’autres anciennes friches réhabilitées accueillent l’école d’architecture(Arkitektur-og-designhøgskolen i Oslo). Plus bas, le complexe Vulkan inscrit des constructions neuves dans la pente articulant appartements et hôtel qui dominent Mathallen, élégante charpente sous laquelle se trouve un marché composé de stands internationaux de qualité et divers points de restauration. Une autre halle à côté héberge le centre de danse, lieu de création, de répétition et de représentation. En contrepoint, demeurent quelques petites maisons traditionnelles en bois dans la rue Telthusbakken qui grimpe jusqu’au cimetière où se trouvent les tombes de Munch et Ibsen. En aval d’Akerselva, le centre DogA réaménagé par Jensen & Skodvin présente les dernières créations en matière de décoration, mobilier, mode, graphisme et architecture.
Sur les hauteurs est de la rivière, le quartier Grünerløkka anciennement ouvrier aujourd’hui colonisé par les artistes et écrivains, présente des rues aux teintes pastel et propose cafés alternatifs et autres vide-greniers. Markveien et Thorvald Meyersgate sont les artères les plus vivantes avec leurs restaurants ouverts tard le soir. Il dégringole jusqu’à Grønland, disctrict bigarré qui assemble plusieurs communautés et est bordé par les voies ferrées de la gare centrale.
Un certain savoir-vivre
De l’underground au très chic, les norvégiens constituent une population contrastée. Porteur d’une démocratie exemplaire, ce peuple pacifique encore marqué par les deux attaques terroristes du 22 juillet 2011 dirigées contre le parti travailliste par Breivik, extrémiste de droite, développe un sixième sens : l’altruisme. Ainsi, les Dugnad, projets bénévoles, convient amis et voisins à participer à divers travaux, comme la construction d’une grange, d’un quai ou d’une aire de jeux. À titre d’exemple, à Bjørvika, l’association Slowspace organise des événements autour d’un four à pain auxquelles participent des futurefarmers – comprendre agricultueurs du futur –, qui investissent les interstices délaissés de la ville pour cultiver des denrées alimentaires. Hebdomadaires, les incontournables "Fredagspils" rassemblent les osloïtes autour d’une bière le vendredi après la semaine de travail et avant de partir en weekend à la campagne ou en bord de mer. Kafés, pubs, kros, bistros, spiseris, et autres kafeterias populaires développent autant de lieux conviviaux. L’on trouve des machines à café agrémentées de fruits et autres pâtisseries en libre-service dans les librairies et dans tous les lieux de travail, témoignant de l’esprit convivial et décontracté de leur culture. Aussi faut-il se mettre au rythme de ce pays nordique, où la ponctualité est de mise. Ce qui n’empêche pas une certaine dolce vita, l’épanouissement personnel (via le sport et autres activités souvent tournées vers la nature) et familial étant prioritaire sur l’ascension professionnelle. Pas étonnant qu’en 2010, et selon des critères de revenus, d’espérance de vie, d’éducation et d’égalité hommes-femmes, la Norvège ait été classée par l’UNESCO comme étant le pays où l’on vit le mieux au monde.
*Axe est-ouest dans la ville romaine.
**Voir exé n° 10, Acier structurel, À couper le souffle, pp.24-43.