Au bord du lac Léman, le théâtre Vidy-Lausanne n'est en réalité que le fragment d'un pavillon conçu par Max Bill en 1964 pour l'Exposition nationale qui eut lieu cette année-là. Pour compléter l'offre de salles existantes, Vincent Baudriller, nommé directeur en 2013, énonce le besoin d'un nouvel espace libre et modulable pour une jauge de 250 spectateurs. Toutefois, dans le parc arboré ne sont autorisées que des structures démontables. Et la seule emprise possible est celle d'un ancien chapiteau, inadapté au jeu théâtral. Pour fabriquer cet outil scénique, Yves Weinand propose de mettre à profit ses recherches effectuées à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), où il enseigne. Avec son équipe du laboratoire Ibois, il conçoit alors un projet écologique d'une part - la ressource bois est locale et recyclable, et le mode d'assemblage, ici testé, quasiment sans clou ni vis - et économique d'autre part (le théâtre finance l'ouvrage sur ses fonds propres), son bureau d'études évitant tout intermédiaire. En outre, Yves Weinand ayant travaillé très tôt dans la conception avec l'entreprise Blumer-Lehmann, afin de finaliser des travaux de laboratoire jusqu'ici fragmentaires, le projet se révèle expérimental et collaboratif.
Grâce aux modélisations 3D et à leur transposition en volume réel, Yves Weinand avait déjà réalisé une chapelle en structure plissée à Saint-Loup (Suisse) en 2008. Neuf ans plus tard, ce pavillon du lac est l'occasion de franchir une nouvelle étape à l'échelle 1, qui associe forme globale, outils numériques et assemblages aboutis.
« Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la rigidité du pli et son rapport à la forme globale. Aussi, le vrai problème réside dans les assemblages. Si, dans le projet de la chapelle, les fixations étaient en métal, dans le pavillon de Vidy-Lausanne, l'idée est d'ouvrir le matériau bois à d'autres techniques, grâce à la réinterprétation des tenons-mortaises, et de démontrer ainsi que c'est un matériau contemporain. »
Les machines robotisées permettent alors d'aboutir à une optimisation de la matière comme des formes, afin d'en exploiter au maximum les caractéristiques physiques et mécaniques. Un premier essai avait été effectué en atelier à Mendrisio (Suisse) en 2013 avec trois panneaux de 16 mètres de long, dans le but d'analyser les efforts des composantes de la structure ainsi que sa stabilité. « Découpés en machine, les panneaux d'épicéa forment un puzzle tridimensionnel. Celui-ci peut s'apparenter à un coffrage perdu. Si la chapelle était en simple nappe, le pavillon du théâtre de Vidy est en double nappe, avec des panneaux croisés trois plis de 40 mm pour les murs et cinq plis de 45 mm pour les éléments de toiture. L'ensemble fait une épaisseur totale de 30 cm pour l'enveloppe. Au final, c'est une technique moins chère que le Kerto et qui présente, d'après nos calculs, une plus grande résistance ! » Par cet assemblage, toutes les arêtes de cette grande arche de 21 × 28 mètres de surface au sol présentent une rigidité intéressante - en attestent les essais à la charge -, jusqu'à deux tonnes sur chaque arc.
Aussi toiture et parois sont-elles légèrement bombées, et ces doubles courbures participent de l'augmentation de la résistance de l'ensemble de cette structure expérimentale. Une importante attention a été portée aux tenons, car leur géométrie ne doit ni coincer ni casser, et leur emboîtement avec les mortaises a été particulièrement étudié afin d'atteindre une stabilité optimale.
« Chaque pièce est unique, et il est impossible aux ouvriers de se tromper dans leur assemblage. »
De facto, l'ordre séquentiel de l'agencement est logique. Une question peut toutefois se poser : quid de la condensation probable dans les alvéoles de cette double nappe ? Réponse du concepteur : « Cela demeure minime, d'autant que les vides sont remplis de papier recyclé soufflé pour l'isolation thermique. Il n'est pas impossible que cela perle à certains endroits, mais la ventilation aura raison de cet effet. »
Quinze jours auront suffi pour monter clos et couvert. « Ce qu'on fait ici est révolutionnaire, car on supprime le gros œuvre et le parachèvement, ainsi que le moment d'ouverture des marchés publics, lorsque le projet est redessiné, et modifié, par d'autres technologies. » Ce travail de conception-réalisation en simultané est ici permis par la collaboration avec la recherche au sein de l'EPFL. Ce dont rêvent bon nombre d'architectes qui voient souvent la réalisation de leurs projets leur échapper, leurs dessins passant sous les fourches caudines de bureaux d'études et autres entreprises de construction.
« Nous sommes ici dans une sorte de BIM augmenté », conclut Yves Weinand.
Et Vincent Baudriller et son équipe, qui ont aménagé l'intérieur du pavillon, d'être visiblement satisfaits du résultat, puisqu'ils disposent d'un vaste volume de création, inédit, dans lequel ils ont installé des gradins rétractables pour fabriquer des situations en frontal, bifrontal et autres configurations entre spectateurs et comédiens. De cette boîte noire flexible, le directeur du théâtre mentionne d'ailleurs que « même sans spectacle, quelque chose s'y passe ».
Article paru dans exé 31 : Structure bois (mars-avril-mai 2018)