ENTRETIEN AVEC WILFRID BELLECOUR
Studio Bellecour Architectes
Pourriez-vous nous expliquer le contexte de ce concours ?
Le concours a été lancé par Euratlantique, une opération d’intérêt national (OIN) pour la ville de Bordeaux, qui couvre un vaste territoire de la nouvelle gare TGV rive droite jusqu’à Floirac et Bègles rive gauche. C’était un concours large, le premier à intégrer l’usage du bois avec pour volonté le développement de la filière, une volonté de l’État, avant les initiatives récentes d’Adivbois. Nous n’étions pas référencés comme sachants de la construction bois, par contre nous sommes implantés à Bordeaux et, travaillant déjà avec Kaufman, nous avons fait figure d’architectes locaux aux côtés de l’agence Art&Build, légitime sur le sujet. Mais très vite un projet à quatre mains s’est dessiné, et cela s’est très, très bien passé.
À quel stade du projet en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous étions colauréats avec Jean-Paul Viguier et son projet Hypérion sur le même terrain ! Donc un nouveau site nous a été attribué juste en face. Et il s’avère que je l’avais remarqué, je le trouvais extraordinaire. Nous allons donc commencer de nouvelles études de définitions d’ici septembre. Et nous parachevons les études sismiques débutées il y a six mois. Nous avons extrait un morceau du bâtiment qui sera testé prochainement à l’échelle 1/3.
En quoi l’usage imposé du bois en structure a-t-il influencé votre processus de conception ? En tout ! Et même au-delà. Il n’y a pas que la grande hauteur, il y a aussi les bureaux et les logements sociaux qui sont plus bas, pour lesquels nous avons développé d’autres systèmes bois. Ce que j’ai appris là m’influence aujourd’hui sur la façon de faire les choses. La structure bois n’est-elle pas le matériau idéal ? C’est un tout, avec des réglementations qui évoluent, nous aurons des solutions bois. Je ne vois plus les choses de la même façon. Avec le bois, qui s’apparente au métal dans l’assemblage, on revient au système de la trame qui nous libère à nouveau et nous oblige à des appartements plus grands. Le bois comme système constructif préfabriqué régulier est viable économiquement et nous conduit ainsi dans une réflexion intellectuelle globale. Cela influence de manière radicale les modes de conception du projet, à tous les stades. Ce n’est pas un phénomène de mode, c’est un retour aux sources, remettre une culture oubliée au goût du jour. En cela, la grande hauteur est emblématique, elle permettra de rendre le bois essentiel. Mais derrière cela, il y a un matériau pur et biosourcé, avec des propriétés thermiques également.
Dans ce projet, quels critères ont été les plus dimensionnants ? incendie ? inertie ? séisme ? acoustique ? stabilité au vent ? …
Je pense d’abord aux questions d’assurances, notamment au sujet d’éventuels dégâts des eaux dans un ouvrage bois. Il n’y a aucune habitude à ce sujet. Mais tous les critères sont finalement dimensionnants, comme le choix structurel par exemple, l’exosquelette pour la grande hauteur, qui est par définition la bonne solution. Pour l’acoustique il faut de la masse, donc il faut encapsuler. Pour les bureaux, l’acoustique est moins contrainte donc on profite plus de la rondeur acoustique et tactile du bois ; on a fait des planchers collaborants avec chape, on peut garder le bois en sous face. L’incendie, pas tant que ça, car le bois ne brûle pas au sens des pompiers, le bois est dix fois plus efficace en termes de stabilité au feu. Ensuite, il peut y avoir des soucis au niveau des assemblages, aujourd’hui en bois ce n’est pas possible, il faut de la mixité.
L’usage du bois vous a-t-il poussé à innover ? Dans quelle mesure ?
Oui, évidemment, nous avons même bénéficié d’un CIR (crédit impôt recherche). C’est un peu le concours Lépine, sans être abracadabrantesque, mais être innovant, emblématique, nécessite que cela suive économiquement. C’est presque une révolution dans la structure, dans la façon d’habiter avec la trame.
Pourriez-vous nous décrire le type de mise en œuvre structurelle primaire pour lequel vous avez opté ici ? Notamment ces colombages « géants » remarquables et inédits ?
Plusieurs, un vrai panel : pour les bureaux, plancher mixte, poteaux-poutres bois, mur manteau avec parement métal ; pour la tour de logements, un exosquelette, colombages des temps modernes, planchers bois et murs manteau avec parement métal.
Qu’en est-il de la réalité économique de telles solutions ?
Je ne tire aucune conclusion de Silva à ce jour, nous ne sommes pas assez avancés. Aujourd’hui, dès que les structures sont plus raisonnables, on peut aller haut en CLT, et en théorie arriver à des économies moindres avec en toile de fond des filières sèches, des temps de chantier plus courts, des nuisances en moins, une rationalité. Dès que la filière sera constituée, dans un secteur concurrentiel, avec des entreprises nombreuses, nous pourrons atteindre l’économie du béton.
Quel est votre sentiment sur le développement de la construction bois en hauteur ?
J’insiste sur le fait que ce n’est pas un phénomène de mode, c’est bien peu connaître l’histoire, même si c’est évidemment un phénomène récent lié aux enjeux durables. Si du point de vue réglementaire cela devient un matériau usuel, ce ne sera plus un phénomène. Aujourd’hui, on développe la filière mais de manière globale, en considérant aussi le mobilier meublant ou attaché. Il y a la volonté que le bois devienne intégré et essentiel, jusque dans les parties communes. On a envie de ce bois, on a envie de le toucher mais on ne peut pas le rendre visible. Pour Silva, les colombages sont dans les logements, protégés mais visibles depuis l’extérieur.
Entretien paru dans exé 28 : Escaliers (juin/juillet/août 2017)