Rédigé par Jean-François Pousse | Publié le 09/06/2021
Saut de puce dans le passé : dix ans auparavant, à la place de la tour New'R, il y avait un terrain vague et, à côté, des hangars avec un parking de semi-remorques. Aujourd'hui tout a changé. Le nouveau quartier d'Euro-nantes (Malakoff-Centre) sort de terre pour un achèvement prévu autour de 2025. Il y aura alors 12 hectares d'espaces publics avec 40 000 mètres carrés d'équipements, publics eux aussi, 2 000 logements mixtes, 200 000 mètres carrés de bureaux et 15 000 mètres carrés de commerces. À un jet de pierre au nord, la nouvelle gare multimodale réinventée par Rudy Ricciotti est attendue pour fin 2019.
À la baguette du plan urbain officie l'Atelier Ruelle de Gérard Penot (grand prix de l'urbanisme en 2015). Du nord-est au sud-ouest, l'axe du mail Picasso puis de la rue du Progrès constitue une épine dorsale majeure sur laquelle viennent se greffer des bâtiments de grande taille pour la plupart. Son ampleur rappelle les avenues autour de l'Étoile à Paris. Avec plus de ciel et d'air encore, une amplitude étonnante qu'accroît dans cette ville plutôt basse l'irruption ponctuelle de quelques tours frisant les 60 mètres de hauteur. Entre ces îlots se glissent des venelles, passages piétons, voies de circulations douces, petits squares plantés censés créer des dimensions plus domestiques, des continuités à l'échelle humaine, favorables à ce serpent de mer qu'est devenu le « lien social » invoqué et convoqué à tout propos. Est-ce la construction encore inachevée, le parti pris de séparer les constructions les unes des autres, les ruptures d'échelle justement ? en l'état domine l'impression d'une juxtaposition d'architectures solitaires, sans lien avec leurs voisines, d'un tissu urbain à forte charpente mais fragmenté, manquant - pour l'instant, pour toujours ? - de chair.
Ce qui n'interdit pas les qualités individuelles. Celles de New'R ne tiennent pas à son nom un peu niais, un de plus, fruit d'une sorte de sabir franglais qui, au mieux, s'attire le dédain des Britanniques et, au pire, dévoile une inculture french touch. Plus intéressant, le parti pris assez détonnant des architectes Hamonic et Masson appuyés par le maître d'ouvrage Kaufman & Broad, promoteur classique et pourtant sur la brèche dans cette opération. Avec ses 19 niveaux piqués de lumières à la tombée du jour et la nuit, avec sa grande robe blanche, ses balcons sans fin, ses rondeurs, New'R a quelque chose de voluptueux et de tonique.
« TANT DE BLANCHEUR JOUE À FOISON AVEC LES OMBRES PORTÉES, LA LUMIÈRE BIEN SÛR. CELLE DU JOUR ET PLUS ENCORE CELLE DE LA NUIT. »
Les architectes - en bons dialecticiens tout de même - revendiquent « la liberté d'expérimentation formelle, stylistique, matérielle, typologique », la valeur positive de l'esthétique, « c'est-à-dire ce qui est relatif à l'art et au sentiment du beau - qui doit redevenir un vrai projet d'éthique, moderne et démocratique ». Et de raconter avec gourmandise leurs sources, les envolées tournoyantes d'Oscar Niemeyer, « l'architecture balnéaire française des années 1970 », Marina-Baie-des-Anges d'André Minangoy et Michel Marot ou encore le « fantasme hédoniste de Miami Beach ! » Petite sœur de la double tour Home (2011-2015) des mêmes architectes (avec Comte et Vollenweider) à Paris-Rive gauche, New'R n'a pas de logements sociaux, mais, elle aussi, des terrasses partagées et une serre horticole. L'Atelier Ruelle la préconisait en pivot. Elle l'est, en signal sur le mail Picasso et en lien multidirectionnel avec le quartier en développement jusqu'à la gare, infiltrée, ouverte aux bureaux, commerces en rez-de-chaussée et aux voitures qui rejoignent en douceur le parking souterrain en fond de parcelle. Fluidité très composée.
Partout règne en maître la courbe. Dès le sol avec son jardin ovale, les poteaux fuselés du hall, puis dans les hauteurs avec les balcons filants qui enrobent cette tour épanouie en cinq corps étagés de taille grandissante. Enveloppant leur noyau à facettes, ils s'évasent de 0,60 mètre à 2,50 mètres de largeur, creusent les façades, immaculées absolument, de bas en haut. Tout est blanc : sous-face et nez des dalles en béton lasuré brillant, garde-corps en métal perforé avec jardinière incorporée aux étages bas pour préserver l'intimité, puis à barreaudage au-dessus, bardage ondulé d'aluminium devant l'isolation extérieure. Tant de blancheur joue à foison avec les ombres portées, la lumière bien sûr. Celle du jour et plus encore celle de la nuit.
Quand, au crépuscule, les appartements s'allument un à un, chaque balcon devient miroir ponctué d'ombres et d'éclats qu'accusent au creux des ondes du bardage des tubes LED verticaux. Effets sans fin de l'éclairage artificiel. À rez-de-chaussée, le hall, avec ses piles coniques, son plafond bas de métal, blanc encore, ses fluorescents circulaires dissimulés dans des gorges profondes, se change en vide éblouissant sur lequel New'R semble flotter tout entière. Quand - tous les logements éclairés a giorno , à l'occasion d'une fête ou pour les besoins du photographe ! - New'R brille de mille feux, alors vraiment surgit l'image du ferry en partance depuis le port de Nantes.