Flaine, c’est d’abord l’histoire d’un coup de foudre. Lorsque Gérard Chervaz, architecte genevois, découvre les environs dans les années 1950, il imagine immédiatement la possibilité d’édifier une station de ski dans ce cirque naturel. Le site, à 1 600 mètres d’altitude, dépend des communes de Magland et d’Arâches-la-Frasse dans le département de la Haute-Savoie. Une fois obtenu l’aval des deux maires concernés, Chervaz se met à la recherche d’associés et de financiers. C’est alors qu’il rencontre Éric Boissonnas, géophysicien richissime qui souhaite investir. La foudre le frappe à son tour : « […] C’est ici que m’est venue l’idée de créer un prototype d’urbanisme, d’architecture et de design pour lequel la rentabilité serait subordonnée aux choix esthétiques et au respect de l’environnement. »1
Alors que le Suisse s’entoure des compétences de Laurent Chappis et Denys Pradelle, urbanistes et architectes venant d’achever Courchevel - première réalisation en site vierge - le mécène complète l’équipe en faisant appel à Marcel Breuer, ancien élève puis professeur au Bauhaus et figure du Modernisme rencontré aux États-Unis. Ce chantre du béton brut convainc le conseil général, sans qui rien n’eut été possible, de l’opportunité formidable que représente cette nouvelle station de ski. Tout en respectant l’environnement et les spécificités du site, Breuer développe les principes fondateurs de son architecture : fonctionnalisme, béton préfabriqué (une usine est spécialement construite dans la vallée), matériaux bruts, travail sculptural des façades. L’ensemble des bâtiments, tous orientés au sud, est installé sur trois plateaux naturels séparés par des falaises chaotiques. L’harmonie des courbes naturelles et des lignes construites se décline en un camaïeu de gris, la couleur minérale de la roche faisant écho au béton des façades. Éric Boissonnas parachève cet exemple unique d’urbanisme et d’architecture moderne ouvert en 1968, en passant commande d’œuvres d’art à Vasarely, Picasso et Dubuffet. Leurs sculptures monumentales ponctuent l’espace public et transforment la station de ski en musée à ciel ouvert.
Guillaume Relier et Alice Wijnen, les deux associés de l’agence R architecture, ont bien évidemment été portés par cette ambiance tout à la fois poétique et exigeante. Presque cinquante ans après Marcel Breuer, il s’agit pour eux d’en respecter l’esprit tout en affirmant leur vision face à ce patrimoine exceptionnel, afin d’installer la station dans son temps. C’est chose faite avec la résidence de tourisme le Centaure-MGM située au coeur de Flaine, le pavillon d’accueil ouvert en continu, la signalétique et le mobilier urbain installés sur l’ensemble du site. Convoquant pour chaque réalisation le béton, la pierre de Sixt et le bois sombre, les volumes sont massifs et les motifs géométriques. Flaine, l’utopie montagnarde, peut continuer de compter sur ses atours architecturaux et culturels.
1. Éric Boissonnas, Flaine, la création, éditions du Linteau, 1994