À Paris, David Chipperfield Architects rime aujourd'hui avec Morland Mixité Capitale, subtile clôture d'un îlot ordonnant haussmannien et contemporain. Avant cela, DCA, c'est le coup de maître qui, en 2009, a mis l'agence sous les feux de la rampe : le Neues Museum de Berlin. Méticuleuses restauration et reconstruction du musée - rouvert plus de 15 ans après le concours gagné par l'agence - que les bombardements de la Seconde Guerre mondiale avaient laissé en ruines. Cette fois-ci, treize années auront été nécessaires avant d'inaugurer les 23 300 mètres carrés de l'extension qui, comme les autres bâtiments du Kunsthaus, porte le nom de son architecte. L'agence britannique et son antenne allemande savent glisser entre les briques, les reliques de fresques ou les piliers d'un grand magasin londonien, des pans d'un béton lisse. Le mélange des genres est la touche DCA, tout comme la richesse des volumes d'un espace muséal.
La physionomie du musée reflète l'évolution de la collection de ces amateurs et collectionneurs qui, en 1910, ont inauguré le bâtiment Moser, agrandi en 1958 par le bâtiment Pfister, lui-même étendu par le bâtiment Müller, en 1976. À chaque période son écriture et ses matériaux, de la pierre massive au béton. La dernière extension a pour prétexte de taille la collection Bührle, l'une des plus riches de Suisse, qui s'étend du XIIe siècle jusqu'à l'époque contemporaine. Les quelque 200 œuvres qui la composent étaient depuis 1960 présentées dans une fondation privée, située en périphérie de la ville, peu adaptée à un large public et peu efficace sur le plan de la sécurisation des œuvres. Elle occupe dorénavant un sixième de la nouvelle surface totale d'exposition. Pour le reste, l'extension abrite la collection de modernisme classique, les expositions temporaires et l'art depuis 1960.
Pour le projet d'extension du Kunsthaus, le dessin de l'édifice imaginé par DCA s'est fait ex nihilo, sur une parcelle débarrassée de ses salles de sport vétustes, soit deux bâtiments en maçonnerie et cinq autres en bois, évoquant plutôt des baraquements. Elle fait face au Moser, mais de l'autre côté d'une place, un axe de circulation important où se croisent voitures et tramway. Aussi, contrairement aux autres, cet ajout est indépendant, relié cependant au hall central par un passage souterrain, qui mène ensuite à un jardin. Le lien avec l'existant est tant visuel que matériel : les vues sont ménagées et la pierre naturelle en façade est un rappel de celle utilisée en 1910, lors de la construction du musée ; un calcaire jurassique local, présent ailleurs dans la ville, « un changement dans la continuité », indique DCA.
« LA PIERRE NATURELLE EN FAÇADE EST UN RAPPEL DE CELLE UTILISÉE EN 1910, LORS DE LA CONSTRUCTION DU MUSÉE : UN CALCAIRE JURASSIQUE LOCAL, PRÉSENT AILLEURS DANS L A VILLE. »
« Seuls les murs en béton supportent la charge du bâtiment. Aussi, l'enveloppe du parement mesure douze centimètres d'épaisseur, précisent les architectes. Ils sont nécessaires car l'ensemble de la coque est autoporteuse. La pierre de Liesberg, en Suisse, a été utilisée pour l'ensemble de la façade. » À cette pierre s'ajoutent, au niveau des baies vitrées et des corniches, des éléments en béton dit « calcaire » ou « de site », à savoir un mélange de ciment et d'agrégats issus de cette même pierre. Outre la dimension contemporaine que ce matériau apporte à l'édifice et le fait que le rythme des sections verticales reste ininterrompu, il joue également un rôle structurel. « Contrairement aux pilastres des surfaces murales, les piliers des ouvertures de fenêtres doivent supporter une charge importante. Des piliers en pierre naturelle auraient alors dû être plus épais que leurs voisins, ou bien il aurait fallu un noyau en béton. Nous avons donc opté pour des piliers en pierre moulée, qui mettent également en valeur les zones de fenêtres ».
Mais cette fine épaisseur massive est toutefois ancrée dans la structure béton. Pour cela, le rôle structurel des éléments en béton calcaire se prolonge avec les corniches, ces épaisseurs horizontales disposées étage par étage, qui fixent la coque de parement au mur en béton au moyen d'ancrages l'empêchant de basculer. « Sans cela, elles auraient été beaucoup plus fines », précisent les maîtres d'œuvre. « Les éléments en béton préfabriqué sont dotés d'un canal de montage métallique sur leur face arrière : des rails d'ancrage sont accrochés dans ces canaux de montage et les canaux d'ancrage sont à leur tour reliés au mur en béton porteur par d'autres canaux de montage. Les pilastres en pierre naturelle sont quant à eux reliés à la structure porteuse par des ancrages de maçonnerie en forme de T, tous les deux ou trois joints de maçonnerie porteurs horizontaux », décrit DCA. Sur les bords extérieurs de la façade (environ les six à sept premières bandes de pilastres), pour plus de stabilité, le nombre d'ancrages est augmenté à chaque joint horizontal de maçonnerie porteur. Aucun risque de désolidarisation, le manteau minéral est bien fermé.
L'organisation interne des différents niveaux du bâtiment Chipperfield est pensée en termes de « maison de pièces » aux tailles et matérialités variées. La lumière naturelle abondante y est régulée par l'épaisseur des pilastres en béton calcaire et des stores intérieurs et extérieurs.
Fiche technique
• LOCALISATION Zurich, Suisse
• ARCHITECTES CONCEPTEURS David Chipperfield Architects (Berlin)
• ARCHITECTES D'OPÉRATION b + p baurealisation ag (passation des marchés, supervision de la construction)
• MAÎTRISE D'OUVRAGE Einfache Gesellschaft Kunsthaus Erweiterung - EGKE
• CLIENT Kunsthaus Zürich | Zürcher Kunstgesellschaft
• PROGRAMME Extension d'un musée
• SURFACE DE PLANCHER 23 300 m² (dont 5 000 m² d'espaces d'exposition)
• CONCOURS 2008
• ÉTUDES 2009
• CHANTIER 2015-2020
• LIVRAISON 2021
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
• GESTION GÉNÉRALE Niels Hochuli, Dreicon AG
• STRUCTURE IGB Ingenieurgruppe Bauen, dsp - Ingenieure & Planer AG, Ingenieurgemeinschaft Kunsthauserweiterung
• MÉCANIQUE DU BÂTIMENT Polke, Ziege, von Moos AG, Hefti. Hess. Martignoni. Holding AG
• PHYSIQUE DU BÂTIMENT Kopitsis Bauphysik AG
• SÉCURITÉ INCENDIE Gruner AG, ContiSwiss
• FAÇADE Emmer Pfenninger Partner AG
• ÉCLAIRAGE ARTIFICIEL matí AG Lichtgestaltung, Adliswil
• ÉCLAIRAGE NATUREL Institut für Tageslichttechnik, Stuttgart
• SIGNALÉTIQUE L2M3 Kommunikationsdesign GmbH
• PAYSAGE Wirtz International nv, KOLB Landschaftsarchitektur GmbH
ENTREPRISES
• FAÇADE Staudtcarrera AG (calcaire jurassique de Liesberg, pierre moulée), Sottas AG (fenêtres), AGC Glass Europe (verre)
• BÉTON APPARENT Marti AG
• SOLS Lauster Steinbau GmbH (marbre KRASTAL), Wimmer Gmbh (parquet en chêne), GDM Parkette (pose du parquet)
• FINITIONS Baur Metallbau AG (revêtements muraux en laiton, garde-corps)
• MOBILIER ENCASTRÉ Bau- & Holzwerker AG (accueil), Teamplan Josef Meyer GmbH (vestiaires), Glaeser Wogg AG (bar), Pfister Ladenbau AG (boutique)
• LUMINAIRES BEGA (hall d'entrée), Viabizzuno srl (bar, boutique)
• MOBILIER Minotti (bancs des salles d'exposition), Horgenglarus (chaises, bar), Fritz Hansen (chaises)
• TEXTILES Kvadrat