Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 19/05/2017
François passe ses vacances à Bois-d’Amont depuis 1956, autrefois avec ses parents puis avec son épouse Martine et leurs enfants. En 2006, le couple de Parisiens, aujourd’hui sexagénaires, hérite d’un terrain à côté de la résidence familiale, situé sur cette commune du Jura, station de ski de fond à la frontière suisse. Ils rêvent d’y construire une petite maison bien isolée thermiquement et intégrée au paysage mais ne trouvent pas d’architecte. Leur fils Antoine, plasticien, demande conseil à son ami Julien De Smedt qui répond que ce projet l’intéresse. Ce Belge de 41 ans a fait ses armes auprès de Rem Koolhaas, avant de fonder PLOT (2001-2006) avec le Danois Bjarke Ingels. Fan de skateboard, adepte des lignes dynamiques, tantôt courbes tantôt acérées, il développe une architecture en mouvement, à l’image de l’impressionnant ensemble d’immeubles Iceberg du port d’Aarhus au Danemark. Basé à Bruxelles et Copenhague, c’est dans la capitale danoise qu’il accueille François et Martine en 2007 pour réfléchir à ce qui sera son premier projet de maison individuelle.
LA MAISON-TREMPLIN
Julien De Smedt dessine une maison liée à la topographie et au paysage et non à l’environnement construit, composé de chalets factices bien peu vernaculaires. Mais rapidement, il se heurte au « labyrinthe de la loi française » : le plan d’occupation des sols (POS) de la commune interdit en effet une toiture plate, végétalisée et accessible, comme il l’envisage. « C’était possible de faire une architecture de pastiche mais pas du contemporain en harmonie avec nature… », regrette-til. Pendant trois ans, Julien De Smedt, François et Martine ne baissent pas les bras, produisant une cinquantaine d’esquisses pour tenter d’entrer dans le cadre de la loi, en vain. « Mais un jour, il y a eu un miracle ! » Un journaliste de la presse locale, qui avait entendu parler du projet, se renseigne sur son architecte et découvre qu’il est aussi l’auteur du fameux tremplin de saut à ski d’Holmenkollen à Oslo sur lequel le champion olympique Jason Lamy-Chappuis, qui a passé son enfance à Bois-d’Amont, vient de gagner son premier titre mondial…
« J’ai découpé le tapis vert, l’ai étiré vers le haut à certains endroits et poussé vers le bas à d’autres. » Julien De Smedt, architecte
Le journaliste relate alors l’histoire des déboires de la « maison-tremplin », comme il la surnomme. Deux semaines plus tard, le maire contacte Julien De Smedt et ses clients pour trouver une solution. Le nouveau plan local d’urbanisme (PLU), dont l’élaboration s’éternise, va enfin être approuvé et, suite à ces années de négociations, il comporte un article ouvrant la porte à des réalisations plus innovantes et écologiques. C’est ainsi que la dernière version du projet devient réglementaire… sans aucune autre modification.
SEMI-ENTERRÉE
Dans leur programme initial, François et Martine avaient défini l’implantation de l’habitation sur le terrain, insisté sur l’importance de la relation dedans-dehors et exposé leur désir d’avoir un séjour en partie haute, pour profiter de la vue sur la vallée, et des chambres en bas, semblables à des cellules, pour accueillir enfants et amis. L’architecte élabore donc un plan trapézoïdal qui s’ouvre vers l’avant pour embrasser le panorama et se resserre sur l’arrière, côté forêt, tout en habillant la maison d’un manteau d’herbe pour minimiser son impact visuel. Le principe rappelle le travail de Guy Rottier qui, dans les années 1960 et 1970, avait dessiné nombre de maisons enterrées et en particulier une à Vence pour l’artiste francoaméricain Arman, figure de proue des Nouveaux réalistes. Ici, les ouvertures évoquent des incisions dans le terrain, qui donnent naissance à des volumes semblant émerger du sol. « J’ai découpé le tapis vert, l’ai étiré vers le haut à certains endroits et poussé vers le bas à d’autres », explique Julien De Smedt. Il explore d’ailleurs cette thématique qui lui tient à cœur à des échelles variées, dans des projets publics comme privés, à l’image d’une vaste résidence qui fera corps avec son jardin, en cours de chantier à Bruxelles.
« Ce n’est pas un projet héroïque mais extrêmement simple d’un point de vue constructif. il n’y a aucune prouesse, car il n’y avait pas le budget pour ça. » Julien De Smedt, architecte
APPROCHE LOW-TECH
Un autre défi lancé par les clients consiste à respecter quelques préceptes du Feng Shui, notamment une orientation qui laisse circuler l’énergie. L’architecte s’emploie à les appliquer de façon pragmatique. « Le Feng Shui n’est pas éloigné d’une approche environnementale low-tech donnant la priorité à la ventilation et à la lumière naturelles », a découvert Julien De Smedt. Compacte et insérée dans la pente, la maison se devait d’être efficace sur le plan thermique pour affronter la rudesse du climat jurassien. La structure en blocs et dalles de béton est pourvue d’une isolation par l’extérieur à laquelle s’ajoute une couverture de terre sur le toit et les pignons. « Ce n’est pas un projet héroïque mais extrêmement simple d’un point de vue constructif. Il n’y a aucune prouesse, car il n’y avait pas le budget pour ça », décrypte l’architecte. « C’est un lieu apaisant, ressourçant, propice à la création, apprécie François. Même Julien est revenu y travailler au calme avec une petite équipe. » En France, l’architecte a notamment livré l’année dernière, à Lille, une auberge de jeunesse combinée à une crèche et des bureaux dans le quartier d’Euralille. Depuis peu, il médite sur sa future maison personnelle dans une région du Portugal où « la loi n’impose aucune contrainte esthétique ! », se réjouit-il.
Article publié dans Architectures À Vivre 94 spécial Lofts (mars-avril 2017)