Urbanité des limites
Au bord du 19e arrondissement se joue un curieux manège qui commence avec la transformation des abattoirs de la Villette en parc dans les années 1980. Une politique culturelle prolongée par la Cité des sciences et la Cité de la musique. Enfin, et en peu de mots, s’ouvre la volonté d’une continuité entre Paris et sa banlieue – Pantin. Ainsi la liste s’allonge, et aux premiers projets de Bernard Tschumi et Christian de Portzamparc s’ajoutent le Zénith de Chaix & Morel, la controversée Philharmonie en construction de Jean Nouvel et, de l’autre côté du boulevard, la pagode de Jean Peccoux et la résidence étudiante d’ofis (voir exé 12). Densité inhabituelle d’architectures d’architectes dans laquelle le périphérique se retrouve paradoxalement au centre. La tendance naturelle à s’en protéger accentuant chaque fois la limite.
À l’irrigation urbaine, le tramway T3 contribue salutairement d’un mode de transport en commun au faible impact. La ratp a donc besoin d’infrastructures et acquiert une partie des terrains de sports au nord du stade Jules-Ladoumègue pour un site de maintenance et de remisage (smr). Pour ne pas perdre ces équipements, mais au contraire les renforcer, naît l’idée de les relocaliser sur cette nouvelle dalle et de les compléter. Dietmar Feichtinger gagne le concours. Alors, à huit mètres au-dessus du sol s’offre l’expérience « bluffante » d’un panorama postmoderne, où l’on joue au football sur du gazon synthétique devant les silos Lafarge du canal de l’Ourcq, les voies rapides que l’on n’entend plus et les Grands Moulins de Pantin réhabilités.
Un escalier-clé
Présence du smr oblige, monter à huit mètres au-dessus de la rue devient un mouvement déterminant. Par un double escalier, intérieur et extérieur, la réponse à cette nécessité constitue un élément structurant du projet qui articule les différents parcours tout en générant une forme dynamique et expressive. Donnant accès à une place haute qui distribue les terrains de sports, la volée monumentale est doublée d’une volée couverte qui se prolonge jusqu’au dernier étage, s’élevant ainsi en porte-à-faux dans l’entre-deux d’une double peau. Le volume en plein de la première assoit le socle du projet, tandis que le volume en creux sous la seconde accentue sa légèreté ; une élégante ligne brisée dessine ce chiasme. Les cinq volées distribuent successivement bureaux, salle multisports, tribunes et enfin salles de danse, de musculation et de squash, avec technicité et raffinement.
Les marches qui se prolongent du dehors au dedans se retournent en continuité parfaite sur la façade en lamelles de verre feuilleté et sérigraphié de 16 x 144 centimètres, recoupées en partie basse pour suivre le biais de la pente. Orientables grâce à un système automatisé, elles gèrent l’apport d’énergie solaire. L’ensemble de l’enveloppe extérieure et des escaliers est fixé sur une charpente métallique raccordée au toit et à la peau intérieure du bâtiment par des suspentes et des butons. La structure principale est formée par des poutres et des limons en profilés hea sur lesquels s’appuient l’ossature en aluminium des ventelles et les marches en béton préfabriquées.
Le jeu des écrans
À bien y regarder, le bâtiment dévoile très peu son intériorité et laisse le regard décontenancé de ne trouver aucune prise. Les panneaux d’écailles de verre restent opaques et alternent en façade avec des parements de tôle en inox poli et plié en zigzag générant deux reflets simultanés. Pour l’intimité des sportifs, verre et métal ne font pas le jeu de la transparence, les muscles s’exercent à l’abri. La créativité et l’intelligence des détails contrastent avec les intérieurs souvent laissés bruts. La salle multisports en est un bel exemple, où les poutres alvéolées apparentes laissent voir les réseaux et forment avec les chauffages, les luminaires, les déstratificateurs et les panneaux en fibre de bois un plafond à l’esthétique d’un ready-made.
Les dispositifs d’enveloppe d’une grande finesse, qui permettent d’apporter lumière et aération dans chaque espace, alternent différents nus en créant un jeu de volumes qui révèle la combinaison programmatique. Étrange lisibilité qui exprime sans rendre visible ce que contient l’architecture. Elle semble plutôt interposer des écrans entre l’œil et les corps des usagers. Il faut ainsi comprendre l’ellipse du style comme une généreuse neutralité. L’édifice est un support, une infrastructure qui n’impose pas une interprétation, mais se fait polysémique. Chacun y projette un sens jusqu’à l’environnement qui joue dans les reflets, et fait bouger les lamelles.
Rouge tennis
Les espaces extérieurs – terrains de foot, de tennis et de rugby – bénéficient d’un traitement paysager qui accompagne agréablement les entraînements et donne aux accompagnateurs l’occasion de profiter d’un peu de nature. Filets de protection, bancs des entraîneurs et réverbères ont été dessinés par les architectes, qui ont pu pousser la conception sur l’ensemble de la pratique sportive grâce à l’implication bénéfique de la maîtrise d’ouvrage.
Le confort acoustique est principalement assuré par le bâtiment longiligne couvrant six terrains de tennis le long du périphérique, mais aussi en partie nord par des panneaux antibruit en pma aux formes de pointes-de-diamant. La couverture des terrains est portée par des portiques en poutres-échelles sur lesquels est fixée une double peau de panneaux de polycarbonate alvéolaires rouges et incolores, qui rythment les quelque 200 mètres de la perspective tennistique. Les alvéoles intègrent des brise-soleil verticaux motorisés pour la luminosité et la chaleur. Ils sont recouverts côté est par un bardage en lamelles de bois, et une toiture en sheds permet la ventilation. De dimensions considérables, l’édifice linéaire produit un ressenti léger et discret grâce à son articulation avec les espaces verts. Cette barrette urbaine était voulue dès l’organisation du concours, et l’absence du périphérique, pourtant situé à la même hauteur, confère alors au lieu une sensation de sérénité.