Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 12/04/2018
« Nous n'avions l'argent pour réaliser qu'une seule et unique partie de l'école », se souvient Ad Kil, architecte associé de Ro&Ad. L'art de bâtir relève, dans ces circonstances, de l'alchimie ; avec moins, il s'agissait, bien entendu, de faire mieux et plus… Énergie et bonne volonté sont alors sciemment mobilisées. Encore faut-il, pour parfaire l'opération, un surcroît de chance. Ici, elle porte un nom : Rini. Rini n'est autre qu'un enseignant de l'école. Très tôt, il s'est enthousiasmé pour le projet de Ro&Ad. Tant et si bien qu'il promit de réaliser l'édifice en intégralité, et ce, lui-même, à la force de ses bras ! Voilà qui a pu surprendre maîtrise d'œuvre et maîtrise d'ouvrage… En plus de changer considérablement la donne.
Le projet avait toutefois, par son enjeu social important, de quoi motiver. Des jeunes en difficulté devaient trouver dans cette école un contact apaisant avec la nature.
Sa domestication était même, plus avant, l'enjeu de riches enseignements pédagogiques. Jardinage et élevage devaient se faire, entre ces murs, les deux mamelles d'une institution exemplaire. Au programme : salles de classe, serres, volière, étable, abris et appentis.
En plus d'offrir les preuves d'un fort engagement social, l'équipement devait occuper une friche naturelle, un terrain inaccessible, de forme particulière, vraisemblablement ignoré des promoteurs et autres investisseurs. Les pouvoirs publics, dans un élan ambitieux, se sont récemment saisis, aux Pays-Bas, de ces opportunités foncières pour lutter contre l'abandon de terres utiles. Ainsi, par-delà une muraille de pavillons, quelques herbages délaissés devaient accueillir une école et rendre enfin exploitable une parcelle torturée par un cadastre capricieux. Toutes les conditions étaient ainsi réunies pour mobiliser les forces vives d'une collectivité. Rini, en premier lieu, mais aussi un voisin, charpentier à la retraite, de nombreux volontaires vivant dans le quartier, et même le propriétaire d'un terrain adjacent cédant ses droits en échange du bon traitement des chevaux qui tranquillement y paissent. « C'était une belle histoire… », assure Ad Kil, « mais somme toute inhabituelle », s'empresse-t-il d'ajouter.
« JARDINAGE ET ÉLEVAGE DEVAIENT SE FAIRE, ENTRE CES MURS, LES DEUX MAMELLES D'UNE INSTITUTION EXEMPLAIRE. »
Si le projet, fort de cette mobilisation, n'a pas évolué dans ses lignes simples et archétypales - l'école adopte les contours d'une longère -, la manière dont il fallut le présenter a sensiblement changé. Jusqu'alors, Ro&Ad maniait avec souplesse et agilité les logiciels 3D autant que le BIM. « Rini n'y comprenait absolument rien », sourit encore Ad Kil. De fait, le croquis s'avérait parfois bien plus utile pour transmettre de fines intentions. À coups de crayon, sur le papier, toutes les subtilités pouvaient être expliquées. Toutefois, le détail soigné, réclamé par le duo d'architectes, se frottait à un manque de précision… Dès lors, bien des batailles furent menées pour que le dessin soit scrupuleusement respecté et non dilué dans la facilité. « Nous avons, pour les ouvertures, imaginé un traitement particulier. Nous avons conçu des brise-soleil afin que les rayons lumineux ne pénètrent à l'intérieur de l'école qu'en hiver. Il s'agissait aussi par ce dispositif de ne pas inviter les élèves à regarder à l'extérieur. La plupart d'entre eux présentent des troubles du comportement les empêchant de se concentrer sur une leçon ou un exercice. Ce détail était pour Rini bien trop complexe. Nous avons toutefois tenu bon et réussi à le convaincre du contraire. Il souhaitait par ailleurs travailler une charpente métallique. Nous voulions, quant à nous, du bois afin que le projet soit le plus durable possible », raconte Ad. Expliquer et convaincre ! Encore et toujours. Mais aussi lutter contre les a priori et ne pas douter des compétences de chacun… Tels étaient, in fine, les enjeux du projet.
Il fallut donc pour sa bonne réalisation une « longue série de croquis ». « Nous avions pourtant dès l'origine, et compte tenu des moyens alloués, imaginé un plan simple et des assemblages sobres. L'absence d'entreprise générale nous a conduits à réajuster en permanence notre modèle 3D », précise l'architecte.
Cela étant dit, Ro&Ad n'était pas sans apprécier tout particulièrement ce projet au-delà des difficultés que sa réalisation pouvait imposer. Il était en effet l'occasion pour l'agence de faire montre de tous ses savoir-faire au-delà même de la seule conception. « Ro Koster, mon associé, est charpentier de formation », rappelle Ad Kil. Voilà qui était particulièrement indiqué pour assurer le succès de l'opération.
Du bon sens, de l'implication… De l'ingéniosité, un tant soit peu de générosité, il ne manquait plus pour parfaire ce portrait qu'un peu de patience et de ténacité. L'enjeu, après tout, en valait bien la chandelle.
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