Rédigé par AAVP / Fatma Erhalac – FE Consulting | Publié le 28/10/2022
Un bon immeuble de logement saurait apaiser l’agitation métropolitaine sans l’éteindre, faire salon privé et place publique, être à la fois cabane et palais, cultiver la vie bonne et laisser pousser la mauvaise herbe, veiller sur le sommeil de l’habitant et faire rêver le passant. Sans faire l’impasse sur les dimensions fonctionnelles de l’architecture, le projet de Tolbiac tente d’emmener le logement vers les formes multiples de l’habiter, en explorant l’expressivité des matériaux, le potentiel des espaces communs, les ouvertures du paysage et l’agencement des typologies, le rapport au lieu et à son histoire.
Longtemps, le croisement de la rue du Tolbiac et de la rue du Chevaleret annonçait un changement de paysage dans l’espace parisien, le passage d’un faubourg dense à un univers de voies ferrées, un fleuve industriel enjambé par un pont métallique. L’aménagement du quartier Seine Rive Gauche a effacé l’ouvrage d’art et enfouit la plaine ferroviaire sous un sol artificiel, au risque de verser dans une forme de ville générique exprimant peu les spécificités du lieu. A la charnière de la ville ancienne et la ville en formation, le projet des Etoffes de Tolbiac veut s’inscrire dans son site sans idéaliser le passé, évoquer une histoire parisienne particulière pour redonner une identité propre à une opération de logement de son temps, ouverte sur la ville tout en filtrant ses nuisances et ses stimulations les plus envahissantes.
Falaises urbaines
Le site occupe une position doublement stratégique, à l’angle de deux rues séparées par un dénivelé de près de sept mètres. L’escalier reliant historiquement les deux voies borde le terrain de l’opération, formé par la réunion de deux parcelles. Des ateliers artisanaux et des entrepôts construits des années 1920 aux années 1960 sont remplacés par une opération mixte comptant 3000 m2 de commerce et 5000 m2 de logement. La répartition des surfaces commerciales entre les rez-de-chaussée des deux rues minimise l’impact de l’activité, qui donne un socle aux logements se déployant à partir du R+1 sur la rue du Chevaleret. Les 88 appartements se répartissent entre quatre plots, dont trois sont réunis par des espaces communs et un plot indépendant en R+2 sur cour. La trame des balcons unifie les trois parties du projet montant à R+6 et R+8. Elle reconstitue le tissu continu de la rue parisienne.
Un projet mixte bois béton
La dualité bois-béton guide la conception du projet. Les qualités mécaniques du béton, sa résistance au feu et ses capacités d’affaiblissement acoustique conduisent à l’employer en structure. Du mélèze est utilisé en revêtements sur toutes les surfaces, tandis que les structures des murs ossatures bois et les montants verticaux de la façade sont réalisés en pin Douglas. Les éléments bois visibles acquièrent par traitement autoclave une teinte sombre évoquant les façades des anciens hangars et entrepôt du Paris industriel. Les qualités tactiles du matériau autant que ses qualités visuelles sont mise en avant. Le bois massif a été préféré au lamellé collé pour les poteaux de la façade, avec l’intention devaloriser les qualités du matériau, développer un aspect architectonique rappelant l’origine naturelle de cet élément, en rupture avec les produits reconstitués par collage habituellement utilisé dans la construction bois. Des éléments en lamellé-collé sont mis en oeuvre très ponctuellement pour la création de poutres courbes portant des espaces communs. Le métal est employé pour les garde-corps, avec une finition canon de fusil qui l’intègre à l’ensemble.
Décalage et interstices
La distinction entre architecture et construction se voit souvent dans les détails. Un jeu subtil règle l’emplacement des montants verticaux des balcons. Ils ne suivent pas une trame régulière, comme on pourrait le penser à première vue, mais se décalent à chaque niveau latéralement et verticalement de dix centimètres, venant progressivement en encorbellement sur l’espace de la rue. Le dispositif anime la façade et fait progresser la surface des balcons avec l’accroissement des étages. Cette grille qui unit les différents plots côté rue absorbe les vides laissés entre chaque bloc. Côté cour, les interstices deviennent des espaces communs, à la fois terrasses, placette, avec des trémies reliant visuellement les différents niveaux et l’ajout d’éléments extraordinaires, à l’instar des « nids », des salons suspendus partagés par les résidents. Le dédale des circulations revisite le joyeux désordre et les surprises des arrières cours des faubourgs industriels parisiens. Deux ans de pandémies aident à mesurer la valeur de ces espaces ouverts à tous les habitants, offrant une alternative au chez soi, et permettant à l’ensemble des résidents de profiter des vues sur la ville. La toiture jardin ouverte à tous ouvre à 240° sur un panorama empilant plusieurs décennies de l’évolution de Paris, et sur le ciel.
Diversité typologique
L’insertion de trois maisons en bande dans la cour du rez-de-chaussée complexifie et enrichit les parcours en coeur d’îlot. La déclivité nord sud a conduit à distribuer ces logements sur le principe du duplex descendant, l’accès se faisant au rez-de-chaussée cour, le côté jardin se retrouvant un niveau plus bas sur la façade opposée. Une bande linéaire de balcons double toutes les façades des logements. Son épaisseur varie suivant les étages et les nécessités d’articulations entre les différentes face de l’opération. Plusieurs logements ont un accès direct par les parties communes, d’autres doivent passer par un couloir séparé des espaces extérieurs communs par une porte vitrée. Dans les espaces communs fermés, le traitement des détails renvoie à l’univers de l’hôtellerie de luxe, avec l’utilisation d’éclairages individualisés pour les portes d’entrées, sol textile orné d’un motif floral. Cette note sophistiquée couronne la dimension précieuse du logement. Elle est amplifiée dans le hall, qui reçoit un sol en marbre, des menuiseries anodisées et des luminaires réinterprétant l’applique grand siècle sur un ton ironique et décalé. Une paroi ondulée à double vitrage sépare le hall de la rue. Les jeux de reflets et de transparences produit par l’onde vitrée fait que la séparation public-privé n’est jamais vraiment là où on l’attend. Souvenir du palais des glaces des fêtes foraines, ce dispositif d’apparence simple annonce les intentions du projet : réenchanter l’habitat par la magie des sensations et des rencontres, au coeur d’une ville redevenant un grand paysage.
À propos de l’agence :
Vincent Parreira a fondé AAVP en 2000, parce qu’il était temps et qu’il ne pouvait attendre 2001 pour entreprendre une nouvelle odyssée de l’espace. Vincent Parreira a grandi sur les chantiers. Vincent Parreira aime la ville et les métropoles. Vincent Parreira a donc installé son agence dans le xie arrondissement à Paris. Dans les locaux de l’agence de Vincent Parreira, vous verrez probablement des massacres de vaches, une tête à échelle 1 de rhinocéros, des cloisons transparentes, des photos d’art et un sac de boxe. Vincent Parreira n’aime pas l’architecture triste. Vincent Parreira pense que chaque bâtiment peut rendre la vie meilleure, donc Vincent Parreira exige de chacun de ses projets qu’il offre une vie meilleure à ses utilisateurs. Les faux-semblants et les pastiches donnent des aigreurs à Vincent Parreira : il ne faut pas lui en demander. L’agence de Vincent Parreira a conçu 6 écoles, 1018 logements, un hôtel et la moitié d’un musée. Vincent Parreira abomine les espaces mesquins. Vincent Parreira a réalisé un projet de centre commercial qu’on a baptisé l’Atoll, parce qu’il ne ressemble pas à un centre commercial mais à une île ondoyante posée dans les champs. A chaque projet, Vincent Parreira pousse le curseur toujours plus loin et met la barre toujours plus haut. Certains trouvent que vraiment Vincent Parreira exagère, mais c’est pour le bien du projet. Vincent Parreira se sert de l’architecture pour substituer partout le désir au besoin. Vincent Parreira contredit Aldof Loos et ne voit pas l’ornement comme un crime. Vincent Parreira a dessiné une façade d’école avec des pièces en bois chantournées, qui deviendront peut-être un jour des pieds de chaises baroques. Vincent Parreira récuse les réponses toutes faites et les escaliers préconçus. Vincent Parreira transmet sa force poétique aux âmes comme aux constructions qui les abritent. Vincent Parreira sait aimer et se faire aimer. Vincent Parreira dirige des équipes multidisciplinaires. Miraculé de la nature, Vincent Parreira a 3 bras droits, le sien et ceux de ses deux associés, Marie Brodin et Éric Crochu. Vincent Parreira a rebâti avec eux sa Sainte Trinité architecturale. C’est désormais avec une efficacité redoublée que Vincent Parreira lance ses 20 collaborateurs à l’assaut des projets les plus hardis. Quand l’architecture devient un sport de combat, c’est toute l’agence de Vincent Parreira qui s’impatiente à l’idée de repartir en campagne. Vincent Parreira est courageux au point de regarder dans le fond des yeux celui qui le défie d’être heureux.
https://aavp-architecture.com/
Fiche technique
Maîtrise d'ouvrage Emerige Résidentiel
Maîtrise d'oeuvre Atelier Architecture Vincent Parreira - AAVP
Artistes Claudine Drai, artiste plasticienne (diptyque du hall), Stéphane Vigny, sculpteur (appliques murales du hall)
DBG paysagiste, CHARPENTE CONCEPT BET bois, BMF économiste, ALTIA acoustique, CAMPING
DESIGN signalétique, IDEEL environnement et EXE ELFIMM BET fluides
Entreprise générale SICRA Île-de-France
Entreprises co-traitantes UTB (Exosquelette et balcons bois), POULINGUE (Mur à Ossature Bois + Bardage bois), MERROTO MILANI (Façade vitrée ondulée)
Programme 80 logements (58 en accession, 22 logements sociaux) - 2 commerces
Sobriété énergétique et confort thermique Plan Climat Paris - RT 2012 – Chauffage Urbain par CPCU
Matériaux Structure principale planchers et poteaux béton - Clos couvert : MOB - Balcons, terrasses en BLC étanchés et exosquelette en bois massif - Menuiseries, bois alu / serrureries acier et verre
Surfaces
Surface totale : 8 504 m²
Habitation : 5 352 m²
Commerce : 3 152 m²
Surface végétalisée : 433 m²
Hauteur 13 niveaux = 40,39 m
Livraison 2021