ENTRETIEN AVEC LAURENT PILLAUD
Architecte associé et cofondateur de Virtuel Architecture
Enveloppes plus épaisses, triple vitrage, parfaite étanchéité, ventilation double flux… N'y a-t-il pas comme une contradiction entre les moyens mis en œuvre et les objectifs durables du label passif ?
Il s'agit d'atteindre des objectifs sans contrainte de moyen. Peut-être que certains projets mettent en œuvre un surplus de matière mais ce n'est pas obligatoire. Nous pouvons faire un bâtiment plus high-tech qu'il ne faudrait, ou bien faire en paille et bois de façon bien plus low-tech … Tout est possible, ce qu'il faut, c'est atteindre les objectifs. Je ne pense pas que construire passif signifie forcément d'avoir une ventilation double flux ou toute autre technologie dernier cri, cela dépend beaucoup du site. À mon avis, on ne peut pas construire passif n'importe où. Si ma seule alternative est d'avoir toutes mes fenêtres plein nord, je vais peiner, et là je serais effectivement contraint de faire appel à des technologies supplémentaires. Energelio, avec qui nous avons travaillé sur ce projet, nous a bien expliqué la différence entre le label Bepos que l'on atteint plus aisément avec de la technologie, et le passif qui tient beaucoup à l'apport solaire et à la compacité du bâtiment. Le terme est d'ailleurs explicite.
Comment l'objectif passif influence-t-il vos processus de conception ?
Les objectifs passifs nous demandent plus de rigueur et d'intelligence, dès le départ. Nous devons être très vertueux et très stricts dans tous nos choix, qu'ils soient architecturaux ou techniques. Par exemple, si je souhaite disposer un porte-à-faux, je vais y réfléchir à deux fois car ce sera plus compliqué que dans un bâtiment traditionnel. Plus vous êtes compact, plus vous profitez de la bonne orientation et plus c'est facile ; sortir de ce schéma demande une vraie réflexion et beaucoup de justesse. C'est une question d'équilibre. Généralement, plus on a de contraintes mieux on avance, et le passif est une contrainte juste, elle vient effectivement influencer notre manière d'écrire ; c'est à nous ensuite de trouver la balance entre nos objectifs architecturaux et les objectifs thermiques. À partir du moment où nous avons accepté le propos de départ, ces contraintes sont enrichissantes et nécessaires à la conception d'un bâtiment vertueux.
Auriez-vous abordé et conçu ce projet différemment sans cet objectif ?
Oui forcément. Cet objectif, que nous avons accepté, nous a certainement fait dessiner le bâtiment différemment. Cependant, j'ai l'impression que ce fut un enrichissement, un gain, et non une contrainte appauvrissant l'idée. Et en premier lieu sur la valeur d'usage, pour les locataires : quand on rentre dans les logements, on a une vraie qualité d'ouverture sur l'extérieur ; c'est la première fois que mon bureau d'études me demande plus de vitrages ! Les intérieurs sont sains et cela se ressent, d'autant plus ici où l'enveloppe est en bois.
Justement, l'objectif passif a-t-il une quelconque influence sur la typologie des logements ?
Oui, à partir du moment où on cherche le plus de lumière naturelle. Chaque pièce est dotée de grandes fenêtres, et 70 % des pièces humides sont éclairées naturellement, ce qui est de plus en plus rare de nos jours. Dans un bâtiment aussi compact, l'étude des distributions est alors primordiale. Ici, nous avions un bâtiment à quatre faces donc nous avons pu choisir toutes les orientations, c'était facile. Dans une rue parisienne entre deux pignons, cela n'aurait pas forcément été possible.
Est-ce plus simple ou plus compliqué à atteindre dans le cadre d'une opération de logements, vis-à-vis d'un équipement par exemple ?
Nous ne faisons pas d'équipement donc je n'ai pas de certitude. Mais j'imagine que, par exemple, y intégrer la technologie double flux est peut-être plus facile : les hauteurs sous plafonds sont plus importantes et les habitudes sont déjà là. Cette contrainte du double flux est une vraie complexité, ce n'est pas simple à gérer, en termes de faux plafonds notamment.
Pourriez-vous nous décrire le principe constructif de ce bâtiment ?
Ce qu'il faut savoir c'est que l'objectif passif nous a été imposé en cours d'études, nous avions déjà une esquisse et une implantation. Avec le bureau d'études Energelio nous avons adapté notre proposition qui n'était pas si éloignée des nouveaux objectifs. Cependant, nous n'avons pas construit en tout bois car nous avions besoin d'inertie, au regard du site. Le bâtiment est constitué de planchers et refends béton, enveloppés d'un mur manteau en bois.
Qu'avez-vous mis en œuvre de spécifique dans ce projet afin d'atteindre les performances passives attendues ?
Nous avons épaissi le manteau qui est passé à 45 centimètres, installé une ventilation double flux, développé les surfaces vitrées et leur ordonnancement, opté pour du triple vitrage. Maintenant le triple vitrage n'obture plus les apports solaires, les ventilations double flux sont plus économiques… toutes ses technologies sont maîtrisées. Le souci vient de leur disponibilité ; nous avons été obligés d'aller chercher pas mal de produits à l'étranger, parce qu'en France, nous n'avons pas encore suffisamment de fabricants à la pointe du passif. Le label en soi est très particulier, très strict. Un fabricant dont le produit est déjà labellisé est un gain de points direct pour notre projet. Par exemple, nos fenêtres sont des Bieber, déjà labellisés et elles sont françaises, mais quasiment tout le reste vient d'Allemagne ou de Belgique.
La construction passive génère-t-elle un surcoût ?
Notre maître d'ouvrage Vilogia avait une vraie volonté de construire sa première opération passive ; ils viennent de Lille et sont arrivés avec leur prix du Nord auquel ils ont ajouté 10 %. Nous avons dû batailler pour qu'ils ajoutent encore 10 % pour s'adapter aux coûts de construction franciliens. Finalement, nous avons construit pour 1 900 euros du mètre carré. Donc oui c'est plus cher, d'environ 10 %, même si nous avons tiré les prix en optimisant l'enveloppe. Il y a clairement une frugalité du geste architectural en fonction du coût ; pour reprendre l'exemple du porte-à-faux, nous aurions pu le faire, techniquement on sait faire, mais il aurait coûté très cher.
Cela vous oblige à faire preuve d'encore plus de convictions ?
Nous devons toujours être convaincants, mais à partir du moment où nous sommes justes, nous obtenons la compréhension. Si les fourches caudines de l'argent nous retombent toujours dessus c'est parce que ceux qui fixent les budgets ne sont pas là. Ce n'est pas avec eux que nous discutons et c'est compliqué de leur faire comprendre que parfois, investir davantage dans le projet permet de gagner plus après. Ainsi, l'entretien peut coûter moins cher si les bons choix sont faits en amont. Sur cette opération, de manière globale, les bons choix ont été faits, elle ne coûtera pas grand-chose en termes d'entretien ; il y a deux chaudières à condensation dont l'une supplée l'autre en cas de besoin, c'est-à-dire l'équivalent d'une chaudière de T3 pour tout le bâtiment, et une CTA qui nécessite un changement de filtres deux fois par an, et c'est tout. C'est un des avantages du passif, il ne nécessite pas d'entretien. En termes d'usages, les locataires viennent de passer un premier hiver et il n'y a eu aucun problème, ils ont eu bien chaud, sans chauffer.
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