Quand on s’appelle Berluti, que l’on vend de luxueux souliers et que l’on mise sur l’excellence depuis 1895, on se doit de posséder un atelier de fabrication à la hauteur. L’industriel italien fait partie du groupe LVMH avec qui Philippe Barthélémy et Sylvia Griño ont déjà travaillé à plusieurs reprises pour la marque Louis Vuitton à Paris, Kobe ou Guam. Pour cette collaboration, l’histoire se joue à Ferrare, ville du nord de l’Italie située entre Padoue et Bologne. Objectif ? Bâtir une nouvelle manufacture pour le prestigieux fabricant de chaussures établi dans la région afin d’accompagner sa croissance internationale. Au milieu des champs, la parcelle à investir offre deux hectares de terres agricoles exemptes de toute activité industrielle. Premier installé, Berluti initie l’urbanisation future du site. Posté en limite de parcelle, il jouit d’une grande visibilité que les architectes devaient prendre en compte. Ils se sont donc appuyés sur les structures maraîchères en place pour réaliser ce bâtiment de 8 700 mètres carrés qui comprend un atelier de production, une école de haute cordonnerie, une zone logistique et des bureaux. Les différentes entités programmatiques sont logées dans un parallélépipède rectangle aux lignes nettes et franches. Car si la nouvelle manufacture est avant tout un lieu de fabrication, cette vocation industrielle ne transparaît pas dans le bâtiment. Malgré des besoins importants en termes de ventilation et d’extraction, aucun édicule ne se donne à voir puisque toute la technique est parfaitement intégrée. Fidèle à l’architecture qu’il défend, le tandem a privilégié une écriture sans fioriture qui exprime la culture constructive de l’agence. « L’atelier de Ferrare n’est pas une usine, notent-ils, mais bien une manufacture, un lieu où se perpétue l’excellence d’un savoir-faire. L’intelligence des mains et la transmission des gestes y sont placées au cœur et retranscrites dans le soin apporté aux détails constructifs. »
La masse de l’édifice est atténuée par le dessin cinétique de son enveloppe. Des tasseaux en cèdre rouge aux sections variables rythment les façades latérales. En arrière-plan, le film d’étanchéité couleur aubergine évoque la célèbre patine des souliers de la marque. Dans le bâtiment, le hêtre vient habiller les façades intérieures rappelant le bois que les artisans utilisent pour les ébauches des souliers. Autant de clins d’œil élégants pour évoquer l’ADN de Berluti en toute subtilité.
Contraintes sismiques
Située en zone de sismicité moyenne sur un terrain d’implantation aux propriétés mécaniques très faibles, la fabrique Berluti est conçue afin de répondre aux exigences de la construction parasismique. Le bâtiment est fondé sur des pieux battus de forme tronconique en béton de 18 mètres de profondeur. Le terrain naturel a été stabilisé à la chaux dans l’emprise du bâtiment et des voiries. Poteaux et poutres treillis ont été surdimensionnés, tandis qu’un diaphragme en béton armé assure la stabilité longitudinale. Cette dalle de couverture (jusqu’à 2,05 mètres d’épaisseur) et le système de fondations garantissent la reprise des charges verticales et horizontales importantes sur les appuis au sol tout en contrôlant les tassements différentiels inférieurs. Les façades sont quant à elle désolidarisées de la structure.
Structures différenciées
Dans la partie est (bureaux, vestiaires, cafétéria, école de formation et prototypage), voiles, planchers et poteaux béton constituent la superstructure. À l’ouest (logistique et ateliers de production), la structure est constituée de poteaux cyclopéens en béton armé, de poutres treillis de grande portée en métal, et d’un plancher en béton armé. La façade ouest est traitée par un mur-rideau VEC alternant des éléments vitrés fixes et des volets de ventilation en aluminium habillés de red cedar non traité. Façades nord et sud sont vitrées au rez-de-chaussée tandis qu’à l’est, la façade en aluminium laqué pourrait être aisément démontée pour agrandir le bâtiment en cas de besoin.
Agora centrale
Au cœur du dispositif spatial, dans le prolongement de l’accueil, une agora distribue les différentes fonctions et se fait espace commun de la manufacture. La lumière naturelle y pénètre généreusement via une couverture en ETFE sérigraphiée à géométrie variable. Les coussins sont posés sur une charpente en pin lamellé-collé formée de poutres courbes qui se donnent à voir. Évoquant les lacets, les mailles lâches et transparentes projettent des jeux d’ombres qui varient avec la course du soleil. Les parois sont revêtues d’un bardage vertical en hêtre, tantôt opaque, tantôt ajouré pour dévoiler l’activité de l’étage partiel.
Article publié dans exé 26 spécial versants de toit ('décembre-janvier-février 2016-2017)