L’histoire s’est donc inlassablement répétée partout dans l’Hexagone et n’a pas épargné la préfecture de la Haute-Corse. Pour faire face à l’explosion démographique des années 1960, Bastia a, elle aussi, construit ses quartiers denses et éloignés, voire coupés, du centre-ville. Au sud de l’agglomération, celui de la cité Aurore, maintenant renommé quartier Aurore, coincé entre maquis et plage, a lentement décliné, voyant ses immeubles vieillir, ses espaces verts se détériorer, le chômage et la délinquance s’installer. Et si la proximité maritime et le climat ensoleillé semblent adoucir le tableau, la rénovation urbaine commencée il y a une dizaine d’années fut plus que bienvenue. L’opération ANRU de requalification et de dédensification, avec son lot de démolitions, reconstructions et autres réhabilitations, trouve aujourd’hui son point d’orgue avec l’ouverture de ce nouveau centre culturel en septembre 2015, composé d’une médiathèque et d’une salle de spectacle.
Le site est idéal, avec vue imprenable sur la côte. Il accueillait auparavant une école primaire type Pailleron, démolie et reconstruite. Occupant le même foncier que cette dernière, le nouvel équipement est étagé dans la pente, au cœur d’une structure végétale existante qui a été renforcée à l’occasion du réaménagement de la parcelle. Avec la suppression des clôtures, les architectes ont saisi l’opportunité de développer des continuités urbaines, un lieu de passage où l’on peut aussi s’arrêter à l’ombre des pins, s’installer sur les nouveaux bancs ou sur les gradins du théâtre en plein air.
Accessible par le nouveau parvis en contrebas de la rue, le rez-de-chaussée haut, totalement transparent, distribue l’ensemble des programmes via un hall en L traversant. Ce vide sibyllin, couronné par un volume doré en suspension dans les arbres, ne laisse rien deviner du socle massif sur lequel il est ancré. C’est ainsi que les architectes ont érigé la dualité du projet : tandis que l’effervescence de la salle de spectacle est insérée dans la pente et isolée acoustiquement dans l’épaisseur du béton, la sérénité de la médiathèque se trouve en hauteur, sans toutefois dépasser la cime des arbres ni effacer l’horizon dont elle jouit pleinement. À l’image de la Corse, née entre mer et montagne, Alb’Oru en est l’esprit et la substance, entre obscurité et lumière.
Dans la pente
C’est le volume de scène imposé au programme qui a orienté le projet dans le site. Sur le modèle de la boîte dans la boîte, permettant également de gérer l’antinomie des usages, la salle de spectacle occupe le centre tandis que la médiathèque, les espaces servants, le hall, les studios de répétitions et la salle de pratique artistique se lovent autour. Chacun jouissant d’une entrée indépendante au rez-de-chaussée bas ou au rez-de-chaussée haut tout en partageant le hall au même niveau que le bar et sa terrasse.
Usages
Chaque étage dispose d’un plateau libre de tout porteur, et donc d’une flexibilité d’usage totale. Tandis que le hall peut accueillir en plus de ses fonctions originales des expositions et des espaces de lecture et de rencontre, la médiathèque reçoit tous les publics dans une même zone fluide, tout en organisant des lieux de lectures et de travail isolés. Au centre, la salle de spectacle, dont l’acoustique a été conçue pour écouter des musiques amplifiées comme les polyphonies corses, est équipée de gradins rétractables formant 330 sièges. L’aire scénique peut ainsi être classique ou centrale, et la surface utilisée en totalité pour accueillir 1200 spectateurs debout.
Dans les arbres
Doublant presque la superficie initiale prévue pour la médiathèque, tout en restant dans le budget, la coursive qui court sur trois des côtés du bâtiment est un lieu à part entière. Protégée des vents et des rayons solaires par une résille finement perforée faite d’un alliage de cuivre et d’aluminium doré, elle est accessible aux utilisateurs qui souhaitent lire à l’extérieur, perchés dans les branchages. En encorbellement au-dessus du rez-de-chaussée bas, elle est une deuxième peau qui facilite l’ouverture des baies de la médiathèque, permettant ainsi sa ventilation naturelle. Plus ou moins opaque selon l’incidence lumineuse, elle est absolument transparente depuis les espaces intérieurs, presque immatérielle, voire spirituelle.